La colline sans fin
épisode 2 : Privat sous le regard des Anciens.
Mercredi 22/11/17. L’attrait de Privat pour le monde animal – jusqu’à l’amour discret peut-être – révèle un autre axe de conduite artistique. A l’instar des minéraux et des plantes, les animaux sont des forces élémentaires qui peuvent se convertir en des foyers d’énergies. En eux, le peintre reconnaît le sens de la conscience collective, un instinct nettement positif, mais beaucoup plus sujet à caution chez l’humain grâce ou à cause de sa liberté de pensée. En prenant les animaux comme médiums, il s’agit de tirer l’intellect de sa léthargie, de naturaliser les blessures, de revivifier les profondeurs de l’esprit. On peut alors modifier les dimensions aux choses et êtres approchés, on leur assigne un espace. La peinture comme innocence au pays de l’étonnement.
Jeudi 23/11/17. Simonide (556 – 467) qualifiait la peinture de poésie silencieuse et la poésie de peinture qui parle. Selon lui, la peinture peint les actions pendant qu’elles s’accomplissent, alors que les mots dépeignent les actions une fois qu’elles sont achevées. Nous reviendrons plus loin sur cette distinction fondamentale qu’établit le philosophe grec d’autant plus qu’elle fait sens avec le travail de Privat. Mais ce que je pointe aujourd’hui, c’est la position intime de Bernard par rapport à ce que Simonide définit comme l’action poétique. Lors d’une récente conversation, Bernard me confia être assez « distant » voire parfois « imperméable » aux productions de la poésie. Supposons qu’il évoque ainsi les multiples stratagèmes dont ce type d’écriture use et abuse pour se hisser au rang de l’éditorial et du scolaire. Soit. Mais quand l’?il des spectateurs ne suit plus que la ligne de ses ?uvres, le verdict est sans appel. Ses figures et images, visages et objets, transpirent de poésie. Cet ensemble paradoxal n’en devient que plus passionnant : si seul Privat refuse tout déterminisme poétique à son ?uvre (alors qu’il est bien là pour le public), c’est que tout le monde est dans l’incapacité de définir ce qu’est la poésie ….
Mercredi 29/11/17. « Aux dieux la conscience de l’avenir, aux hommes celles du présent, aux sages celle de ce qui approche. »
Philostrate, Ecrits à Appolonius de Tiane, VIII, 7.
Et j’ajoute : à Bernard la conscience de ce qu’il ne doit pas être. Car au granguinolesque de l’ »artistisme », il a préféré sa propre forme d’un carnavalesque si doux et si profond. Aucune ambition chez lui de s’emparer des dimensions du sacré. Ni d’aspirer à quelque sainteté adorative pour le spectateur. Mais au contraire renvoyer ce dernier à ce qui fait cause et défaut : la friabilité et l’éphémère. L’y renvoyer de but en blanc sans intermédiaire toxique. La peinture de Privat est celle du doute partagé sur le périssable ou non des mots et des images.
Sur la façon de détecter les origines de l’avenir humain.
Jeudi 30/11/17. Où il est question de prodiges
comme un cortège dans la nuit.
Mercredi 6/12/17. Comme ils sont attachants, ces monstres ! Leur regard fragile ou effarouché trahit une psychologie comblée de tendresse. On les imagine poursuivis par des prédateurs (puissances ou réalités infiniment supérieurs). Mais notre empathie n’est pas uniquement suscitée par l’aveu des périls qu’ils courent ; on les sait incapables de maudire nos rêves. Les apprivoiser est un jeu d’enfant. Projetés à l’intersection du tableau-matière et du tableau-vision, ils témoignent de l’énergie des Origines. Rencontrer des âmes qui jamais ne meurent : voilà l’ambition céleste de Privat.
Jeudi 7/12/17. Pourquoi les démons aiment la vigne rouge
Vendredi 8/12/17. « Dans les mêmes fleuves, nous entrons et nous n’entrons pas, nous sommes et nous ne sommes pas. »
Héraclite, 49a.
Textes de Thierry Delhourme
« extraits de la collin sans fin »